C'est une histoire profondément timoraise : au moment du référendum d'autodétermination, en 1999, les enseignants du secondaire, Indonésiens, qui occupaient la quasi totalité des postes, ont quitté le territoire. Le départ de l'armée d'occupation, qui a suivi le "non" massif des Timorais de l'est à l'intégration à l'Indonésie, s'est déroulé dans une grande vague de violence et de destruction, la plupart des écoles ont été incendiées et détruites.
Lorsque, en 2000-2001, on commence à faire redémarrer le système d'enseignement, encore au milieu des ruines, toutes les compétences disponibles sont mises à profit.
A l'école secondaire catholique de Aileu, petite ville chef-lieu du district qui porte le même nom, située au cœur des montagnes timoraises, Custodio Mouzinho, ancien infirmier, est embauché pour enseigner la Biologie et les Sciences naturelles. La direction de l'établissement reconstitue aussi le "département Langues". Parallèlement au Tetum, l'anglais est enseignée par une soeur américaine, également directrice de l'école, et les cours de portugais sont assurés par une prof portugaise payée par la coopération portugaise. Mais la Direction cherche à enrichir le répertoire des enseignements en y ajoutant une langue plus "exotique". Custodio Mouzinho, qui avait étudié le français pendant deux ou trois ans au début des années 1970 lorsque lui-même était collégien et qui a toujours une grammaire de Français de l'époque, se propose d'enseigner le français.
Pour ceux qui l'ignoreraient, le Timor Leste ayant été une colonie portugaise, on y suivait les programmes scolaires du Portugal et le français y constituait à l'époque la première langue étrangère enseignée ! Ce qui explique d'ailleurs qu'un certain nombre de dirigeants politiques timorais parlent bien (voire très bien) le français, à commencer par l'actuel Président de la République, José Ramos Horta.
Mais revenons à Aileu en 2000. L'enseignante portugaise qui était à ce moment-là à Aileu, Selma, était née en France et y avait vécu une partie de son enfance, avant de repartir avec sa famille au Portugal où elle y a enseigné le français. Elle est ensuite partie au Timor enseigner le Portugais. Travaillant dans le même établissement que Custodio, elle s'aperçoit que le niveau de celui-ci est assez faible et fait venir du Portugal des dictionnaires et des manuels, le soutient dans ses efforts, assiste à quelques cours, l'aide à préparer les tests de fin de premier trimestre.
Quand il reçoit les manuels de français, Custodio se rend compte de l'ampleur de son insuffisance. En d'autres lieux, on aurait "laissé tomber", par peur du décalage ou du ridicule. Mais nous sommes à Aileu en 2000-2001 et Custodio, pourtant homme frêle souffrant de crises de malaria qui le jettent au lit de temps en temps, n'est pas du genre à laisser tomber.
Il nous a dit "J'ai compris que je ne savais pas grand chose et je me suis mis au travail, avec les nouveaux manuels, heureusement que la professeure Selma a été un vrai ange gardien, sans elle je n'y serais pas arrivé".
Nous avons rencontré Custodio en 2002-2003. Nous lui avons apporté des livres et revues, puis des CDs avec des chansons en français, des petits cadeaux pour ses meilleurs élèves... Et surtout nous avons passé du temps à lui parler en français, parce que bien sûr, à Aileu, les francophones se sont pas légion. Les années suivantes nous avons recommencé. Et à chaque fois nous demandions aux francophones de Dili de lui rendre visite et de passer un peu de temps avec lui. Pas facile d'ailleurs, car si l'écrit n'était pas si mal que ça, à l'oral par contre, ça coinçait franchement et il devait avoir souvent recours au portugais.
En 2005, en collaboration avec nos amis de Nouméa, de l'association "Solidarité Pacifique", il a été possible de lui offrir un stage de perfectionnement au CREIPAC, un centre de formation d'enseignants de français de la région Pacifique. Il a été hébergé par une famille française, a visité l'île, a été invité par une radio… En un mois de stage, son niveau à l'écrit et surtout à l'oral s'est considérablement amélioré. On a appris que sur les 32 inscrits il avait été classé quatrième de la promotion.
A son retour à Aileu, pour garder le niveau, ou au moins pour ne pas trop perdre celui qu'il avait acquis, nous (l'association) lui avons offert de quoi installer une antenne parabolique. Il peut capter tous les jours la chaîne TV5, a un peu de mal à comprendre les journaux télévisés ("ils parlent trop vite et il n'y a pas de sous-titres", nous avouait-il, et nous constations d'ailleurs nous-mêmes qu'il fallait avoir un sacré niveau pour comprendre un débit somme toute rapide). Il suit mieux les films et les documentaires, ce qui lui permet de ne pas oublier la prononciation correcte.
Entre temps, en tant qu'enseignant, non seulement le nombre de ses élèves au Collège catholique s'est accru - maintenant il enseigne deux niveaux - mais il a aussi été sollicité par le collège d'Etat en tant qu'enseignant de français. Après avoir jonglé un moment avec ses nombreuses heures d'enseignement, de biologie et de français dans un établissement, et de français dans l'autre, plus ses propres cours de perfectionnement de portugais et de pédagogie, il a fini par se recentrer sur l'école catholique (français et biologie).
L'association France-Timor Leste lui apporte un peu de soutien financier mais il doit s'occuper d'une famille nombreuse, comme tout Timorais ayant la chance de travailler et de toucher un salaire.
Cette année, avec le nouveau Chargé de coopération française à Dili, Grégoire Rochigneux, arrivé à Dili en décembre 2006, il a été possible d'obtenir que l'Etat français lui propose une formation complémentaire de deux mois à l'Alliance française de Yogyakarta, en Indonésie.
Le stage touche à sa fin et Custodio devrait regagner prochainement son village, Aileu. On a hâte de vérifier son niveau de visu.
Si cette histoire (plus que vraie) de Custodio vous touche et que vous souhaitez y apporter votre contribution, de quelque nature que ce soit, écrivez-nous à francetimorleste@free.fr
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